Djerba, la douce : comment l’île mythique se réinvente

Dans le golfe de Gabès, baignée par une lumière dorée et bercée par des légendes millénaires, Djerba poursuit sa romance avec l’Histoire. L’île d’Ulysse et des Lotophages, longtemps synonyme de tourisme balnéaire doux, est à un tournant. Aujourd’hui, elle orchestre une renaissance subtile, mêlant modernisation, préservation acharnée de son identité et aspirations au tourisme durable. Plongée dans la métamorphose de cette perle de la Méditerranée.

Un patrimoine unique, héritage fragile à protéger

Djerba n’est pas qu’une carte postale de plages de sable fin et de maisons blanches aux coupoles bleues. C’est un tissu vivant de cultures, de cultes et de traditions.

  • L’architecture menacée : Le patrimoine bâti traditionnel, avec ses houch (maisons à cour intérieure) et ses menzels (exploitations agricoles), est vulnérable. Face à la pression urbaine, des initiatives se multiplient pour restaurer ces joyaux, souvent transformés en maisons d’hôtes de charme, offrant une alternative authentique aux hôtels à Djerba de type resort.
  • Ghriba et la cohabitation harmonieuse : La plus ancienne synagogue d’Afrique, la Ghriba, reste le symbole puissant d’une communauté juive présente depuis plus de 2 500 ans. Sa préservation, tout comme celle des nombreuses mosquées ibadites à l’architecture si particulière, est au cœur des préoccupations. Ce dialogue interconfessionnel silencieux est un pilier de l’âme djerbienne.
  • Un artisanat vivant : La poterie de Guellala, le tissage de la laine, la broderie ou la vannerie ne sont pas de simples souvenirs pour touristes, mais des savoir-faire transmis. Les coopératives d’artisans et les ateliers-visites jouent désormais un rôle crucial pour valoriser ces métiers et assurer leur pérennité économique.

Le tourisme durable, une nécessité pour l’île

Après des décennies de tourisme de masse parfois peu regardant, la conscience écologique et patrimoniale a gagné du terrain.

  • Préserver le littoral : Des associations et des acteurs locaux se mobilisent pour protéger les écosystèmes côtiers fragiles, notamment les herbiers de posidonies, essentiels à la clarté des eaux. Des opérations de nettoyage des plages et de sensibilisation des visiteurs se généralisent.
  • Valoriser les circuits courts : Les produits locaux poisson, dattes, figues de barbarie, huile d’olive sont mis en avant dans les restaurants. L’agrotourisme se développe, invitant à découvrir les jessours (systèmes de récupération d’eau) et les fermes insulaires.
  • Une nouvelle mobilité : L’idée de développer des mobilités douces vélos, calèches, transports en commun optimisés pour désengorger les routes et réduire l’empreinte carbone des visiteurs fait son chemin.

L’arrivée de nouveaux complexes : modernité intégrée ou fracture ?

Le paysage hôtelier djerbien, longtemps dominé par des structures de taille moyenne, voit arriver de grands complexes touristiques ultramodernes. Cette évolution est à double tranchant.

  • Une offre qui se diversifie : Ces nouveaux resorts haut de gamme, avec leurs spas, golfs et infrastructures de loisirs, visent une clientèle internationale exigeante et permettent de prolonger la saison touristique. Ils répondent à une demande du marché et génèrent des emplois.
  • Le défi de l’intégration : Le risque est celui d’une coupure physique et sociale avec le reste de l’île, créant des « bulles » touristiques. Le vrai enjeu pour ces nouvelles structures est de s’intégrer harmonieusement dans le paysage (architecture basse, couleurs locales) et dans l’économie insulaire (approvisionnement local, promotion du patrimoine auprès des clients).
  • Un choix pour le voyageur : Le visiteur a aujourd’hui l’embarras du choix entre ces nouveaux palaces et l’hébergement chez l’habitant ou dans des hôtels à Djerba familiaux de caractère. Cette diversité peut être une force si elle est bien orchestrée.

Pour finir : Quel avenir pour le mythe ?

La réinvention de Djerba est un exercice d’équilibriste. L’île doit relever un défi de taille : accueillir le tourisme du 21e siècle, avec ses attentes de confort et de loisirs, sans sacrifier l’authenticité et la quiétude qui ont fait sa renommée.

La clé réside sans doute dans une planification intelligente et concertée entre pouvoirs publics, investisseurs hôteliers, société civile et habitants. Il s’agit de faire du développement un outil au service de la préservation, et inversement.

Djerba, la douce, a toutes les cartes en main pour devenir un modèle de tourisme intégré en Méditerranée. Pourvu que son futur se construise dans le respect de sa lumière unique, de son patrimoine multiculturel et de la sérénité qui émane de ses oliviers centenaires. Son mythe, après tout, a toujours été celui d’une terre d’accueil et de douceur de vivre. C’est ce mythe-là, plus que jamais, qu’il faut préserver.